Marie Deparis-YafilSplash!Transverse-Art.com
« Splash »! L’onomatopée que l’artiste a choisie pour titre de cette série d’oeuvres, suggérant le jaillissement autant que l’éclaboussure, sonne comme le signal d’une plongée dans un univers hors norme, au coeur d’une peinture « jetée à la face du public »(1), à l’énergie fauve perceptible. Convoquant tour à tour la fiction, l’image cinématographique, l’absurde et l’insolite, quelque chose de mystérieux et d’enfantin parfois, la puissance vitale de la peinture de Yassine Balbzioui ne se dément jamais.
Loin des piscines bleues placides de David Hockney, les oeuvres de cette série promettent d’être de bien plus « bigger splashes », et bien qu’éloignées aussi de l’abstraction de l’action painting, les toiles de Yassine Balbzioui se manifestent, à leur manière, comme autant d’arènes dans lesquelles il agit et se débat, pour reprendre le mot de Harold Rosenberg.(2)
Summer Splash III et IV, technique mixte sur papier, 45 x 32 cm chacune, 2016
« Summer splash », variation composée de quatre oeuvres, nous donne quelques pistes: il s’agit de scènes de plage, vues sous un angle subjectif, comme de l’oeil d’un estivant sur le sable, apparaissant tels des splashes de peinture sur fond noir, ou à l’inverse comme si on avait essuyé grossièrement une surface couverte de peinture noire…Manière d’affirmer, peut-être, que c’est la peinture qui fait advenir l’image, que d’elle surgit la couleur et la vie, et le monde, y compris dans sa banalité, recelant toujours suffisamment de bizarre, si on l’observe assez longtemps, pour retenir l’attention. La peinture, semble ainsi dire Yassine Balbzioui sort de l’obscurité un double monde, le monde de la toile et de la représentation, et le monde réel. A l’instar de ses « summer splash » le peintre semble opérer comme un renversement des profondeurs, des hiérarchies des surfaces. Et au fond, c’est bien de cela qu’il s’agit dans l’oeuvre de Yassine Balbzioui: un monde renversé, pas tant finalement « sens dessus dessous » qu’un monde vu sous un autre prisme, comme saisi de derrière un miroir sans tain, pas très loin de celui d’Alice et d’un univers carrollien.(3)
Dans l’oeuvre de Balbzioui, dans laquelle cohabite poésie et non sens, l’exploration d’un envers possible, d’une doublure du monde et des êtres, eux-mêmes dans cette hybridation aux confins de l’humain et de la bête, met à jour l’étrangeté au coeur même d’un monde simple et a priori ordinaire, quelque chose de cette rupture toujours possible, de ce basculement hors de la rationalité rassurante de la vie quotidienne: le Unheimlich freudien, c’est -à dire quelque chose de dérangeant, de décalé, d’intranquille voire d’inquiétant, bien que familier.(4) L’imagination de Yassine Balbzioui s’entend particulièrement bien à saisir dans la simplicité apparente de son environnement quotidien, des scènes qui, en devenant tableaux, dévoileront leur indicible Unheimlich. « Rien autant que le banal ne peut être le support pour l’insolite» écrivait le poète Henri Michaux.(5)
Insolites donc, et souvent déconcertantes, les peintures de Yassine Balbzioui s’inscrivent clairement dans un processus de fiction, de dramatisation presque cinématographique : certaines pourraient être une image isolée sortie d’un story-board, ou le « still » d’une scène dont nous ne connaissons ni les tenants ni les aboutissants. Ceci offre une grande liberté de champ d’interprétation, dans lequel « chacun peut se faire son film », dit l’artiste. Il y a depuis toujours, chez Balbzioui, une volonté clairement affichée de limiter les indices d’appréhension de son oeuvre, autant par inclination pour le non sens que pour libérer de toute entrave trop conceptuelle l’expérience sensible du spectateur.
Ce déficit volontaire d’indices explique sans doute pourquoi il est si périlleux d’analyser l’oeuvre de Yassine Balbzioui et combien celle-ci semble résister, finalement, aux catégories.
Marie Deparis-Yafil
1 Selon une phrase lancée dans le public du Troisième Salon d’Automne au Grand Palais, à Paris, en 1905, pour qualifier la nouvelle peinture que le critique d’art Louis Vauxcelles appelera « peinture de fauve », d’où le « fauvisme ».
2 Harold Rosenberg – The Tradition of the New – 1959
3 Nous faisons ici allusion à l’univers développé par Lewis Carroll dans le roman Through the Looking-Glass, and What Alice Found There, ( “De l’autre côté du miroir”), 1871
4 Sigmund Freud Essais de psychanalyse appliquée. Collection Idées NRF / Gallimard. Traduction Marie Bonaparte. L’inquiétante étrangeté pages 163 à 210.
5 Henri Michaux – En rêvant à partir de peintures énigmatiques – Ed. Fata Morgana, 1972 Vu à Galerie Shart, Casablanca (Maroc) du 29.04 au 21.05.2016